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Voilà près de dix ans que le double numéro 64/65 de Pratiques de formation/Analyses est paru. Pour introduire ce numéro 66 de relance – dédié aux écritures alternatives – d’une façon différente, nous nous sommes interrogé·es sur une façon « autre » de présenter cet éditorial : autrement qu’au travers d’une rédaction stricte, et même autrement que (directement) par l’écrit ? Une deuxième question portait sur la manière de parler de la relance de Pratiques de formation/Analyses et de nos raisons. Nous avons ainsi décidé d’ouvrir sur un témoignage à trois voix sur ce thème. Les textes qui suivent sont le fruit d’un entretien croisé que nous avons enregistré à l’occasion de la coordination du numéro et dont nous livrons la transcription.

À la suite de cet éditorial, nous présentons, avec l’actuel comité de rédaction, un historique de la revue, de sa naissance en 1977 à 2013, année de son interruption ; puis de sa reprise à partir de 2020, jusqu’à sa publication, ce jour.

Longue vie à Pratiques de formation/Analyses !

Françoise F. Laot – Lorsque j’ai été recrutée à Paris 8 en mai 2020, en plein confinement, dans le panier d’accueil, il y avait la reprise de la revue. C’était dans le profil de poste. J’en ai donc parlé à l’audition [l’entretien d’embauche]. Effectivement, je connaissais Pratiques de formation… J’ai d’ailleurs vu que mon nom apparaît dans les documents d’archives… J’ai dû évaluer quelques articles, je ne me souviens plus exactement. Je n’étais pas très active mais j’étais tout de même dans la liste des expert·es. Je suivais cela d’un peu loin, mais je suivais tout de même parce que je me suis beaucoup intéressée aux revues, et Pratiques de formation/Analyses me semblait un projet très intéressant. C’est au moment de l’audition que j’ai suggéré que l’on puisse y associer des doctorant·es, éventuellement même des mastérant·es. En effet, il me semble qu’il manque la dimension de l’édition scientifique dans nos formations à la recherche. C’est quelque chose de très spécifique, qui demande un investissement particulier, et c’est très difficile à expliquer et à comprendre quand on n’est pas dedans. Si les étudiant·es sont dans le bain, le pied à l’étrier, à devoir travailler, faire des relectures, écrire aux autrices et auteurs, etc., ça leur donne tout de suite une idée de ce qu’est l’édition scientifique. D’où les premières réunions avec deux ou trois personnes d’abord, puis avec le groupe qui se constitue au fur et à mesure ; qui s’ouvre à des personnes extérieures, à des connaissances des un·es et des autres…

Pourquoi ce numéro autour de « l’alternatif » ? Je crois que c’est Christian qui avait proposé le sujet… Je crois, je ne sais plus. En tout cas, j’avais trouvé l’idée tellement adéquate, proche de ce qu’on voulait faire… Oui, à un moment, je me rappelle, tu avais dit : « Ce serait bien de faire le premier numéro sur pourquoi nous voulons reprendre Pratiques de formation/Analyses. » Puis, de fil en aiguille, on en est arrivé à : « Pratiques de formation/Analyses : une publication alternative » et, finalement : « Pourquoi ne pas faire un numéro autour du thème des publications alternatives ? » Et comme il fallait lancer les choses…

J’ai une assez longue pratique des revues, c’est presque un second métier pour moi ; depuis plus de quinze ans, je suis investie dans plusieurs revues. J’ai donc une certaine pratique et c’est beaucoup plus facile de lancer les choses pour moi que pour d’autres, qui découvrent. Les revues ne fonctionnent pas toutes de la même façon mais tout de même, il y a des passages obligés, avec des choses qui se ressemblent beaucoup d’une revue à l’autre. Avoir plusieurs expériences permet de se situer par rapport à un panorama général des revues. J’ajoute que lorsque j’étais au conseil d’administration de l’Aecse [Association des enseignant·es et chercheur·ses en sciences de l’éducation], j’avais coordonné un groupe de travail sur les revues du champ des sciences de l’éducation. Le projet était d’abord d’informer largement les adhérent·es et les étudiant·es sur un ensemble de revues. Nous étions un petit groupe de travail de cinq, six, et nous avions répertorié toutes les revues qui publiaient des textes scientifiques et qui pouvaient intéresser les sciences de l’éducation. En fait, c’était au moment où l’Aeres [Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] – qui n’était pas encore le Haut Conseil de l’évaluation – demandait à ce qu’il y ait des revues « patentées », reconnues par la communauté scientifique pour la qualification des enseignant·es-chercheur·ses. Nous avions donc balisé le terrain : quelles étaient les revues possibles et, surtout, comment fonctionnaient-elles ? Est-ce qu’elles comptaient un comité éditorial, une évaluation en double-aveugle, etc. On avait fait un grand tableau qui, normalement, devait être actualisé et devrait encore se trouver en ligne… Mais je ne sais pas où ça en est aujourd’hui. J’avais aussi proposé des séances publiques d’information en direction des doctorant·es, dans le cadre de colloques, sur comment publier dans une revue de recherche en sciences de l’éducation, et coordonné deux journées d’étude pour la revue Savoirs (dont j’ai fait partie du comité de rédaction pendant dix ans), toujours en direction des doctorant·es, centrées sur la publication dans une revue spécialisée de recherche, ici sur la formation des adultes. Donc, il est « normal » que je sois là ; enfin, je ne sais pas si c’est normal, mais c’est logique en tout cas.

Christian Verrier – Pour moi, Pratiques de formation/Analyses est une vielle histoire… Il s’agit des premiers textes émanant de Paris 8 que j’ai lus. Dans les années 1990, la revue était liée de près au service de la formation permanente, et les cours du premier diplôme que j’ai passé, un DUFA (diplôme d’université de formateur d’adultes), se déroulaient dans ses locaux. Le jour où je suis venu pour m’inscrire auprès du secrétariat, des numéros de Pratiques de formation/Analyses trônaient sur présentoir et j’en ai acheté un ou deux, sans savoir ce que c’était. De retour chez moi, j’ai lu quelques articles – sans comprendre tout ce qui était écrit – et ce fut l’un de mes premiers contacts avec la revue. Ce fut une initiation, non seulement à la littérature « paris-huitarde », mais aussi plus particulièrement à la littérature en recherche « éducation et formation ». Durant ce diplôme de DUFA, en 1991-1992, j’ai vu défiler devant moi, en tant qu’intervenantes et intervenants, plusieurs autrices et auteurs qui écrivaient dans la revue. J’avais lu quelques-uns de leurs articles et là, je les voyais « en vrai », alors que je les mythifiais un peu – tant l’idée d’écrire dans une revue était pour moi inenvisageable. Et les voir ainsi, d’un seul coup, devant moi, c’était un peu « Christian au pays des merveilles »… Formidable ! Ensuite, lorsque j’ai continué en maîtrise, DEA de sciences de l’éducation, etc., Pratiques de formation/Analyses a toujours été là, elle m’a accompagné dans mon parcours d’étudiant tardif ; je m’en suis assez souvent servi dans mes travaux d’apprenti chercheur mais, à cette époque, je n’imaginais pas du tout que, par un enchaînement de circonstances, j’allais en devenir le codirecteur, avec Jean-Louis Le Grand… Ça ne me serait jamais venu à l’idée ! Donc, pendant au moins vingt ans, j’ai été proche de cette revue ; cette fréquentation ma été précieuse aussi, plus tard, dans les réunions de préparation des numéros à paraître, des réunions en présence des fondateurs ; à l’époque, les Jacques Ardoino, Guy Berger, René Lourau, Georges Lapassade, René Barbier et même Michel Debeauvais, parfois, il me semble. C’est en partie grâce à ces premières participations au sein de la revue que je me suis peu à peu affilié à un certain esprit de Paris 8, avec une certaine épistémologie aussi, une certaine conception de la formation et, dans le même temps – sans le savoir vraiment –, j’apprenais comment on fait une revue. À l’époque, j’appartenais encore à un monde extérieur très différent. Je n’avais au départ aucune notion de tout cela et Pratiques de formation/Analyses a été pour moi, à de nombreux égards, un creuset de formation aux us et coutumes universitaires très important. Plus tard, le fait de devenir codirecteur a été un petit traumatisme parce que j’estimais que je n’avais pas du tout la carrure intellectuelle nécessaire ; je ne me voyais pas du tout à la hauteur de mes prédécesseurs – et toujours pas d’ailleurs. Mais j’ai essayé d’assurer tant bien que mal. Plus tard, en 2007, quand j’ai démissionné de l’enseignement supérieur, j’ai perdu contact avec la revue. Je n’étais pas fâché avec le monde universitaire, je continuais de voir d’ancien·nes collègues mais, à nouveau, j’avais envie de connaître d’autres choses. Depuis trois ou quatre ans, je me suis contenté d’être une sorte de personne-ressource bénévole dans un cours en ligne de Martine Morisse sur l’autoformation et la réflexivité. Et il a fallu attendre début 2021, que Françoise remette la revue en chantier après son interruption, pour que je me dise : « Pratiques de formation/Analyses t’a tellement rendu service par le passé, à de nombreux points de vue, qu’il serait un peu triste, si on te le demande, que tu n’essaies pas de donner un petit coup de main à cette remise en route. »

Quant à « l’alternatif », thématique de ce numéro de relance, je ne sais plus si j’en suis à l’origine… Il s’agit peut-être d’une idée proche qui s’est transformée. J’ai toujours trouvé que les sciences de l’éducation, et plus largement les sciences humaines – du moins pour le peu que j’en connais –, sont difficiles à lire. Retraité, j’ai de plus en plus de mal à les lire, non seulement les problématisations, les tours de pensée, mais aussi la formulation – et avec le paradoxe que j’aime bien écrire avec ce style-là, aussi… Ce sont nos contradictions internes, parfois. Par contre, quand je lis des textes sortant un peu de ce modèle-là, j’ai aussi l’impression qu’il y a des filons à exploiter pour décliner la recherche autrement, pour la rendre plus accessible aussi, et même plus agréable à lire, peut-être… Pour essayer d’en faire une science un peu plus « citoyenne », comme on essaie de le faire parfois en éducation populaire, avec de la bonne vulgarisation. Voilà, donc, « l’alternatif » dans ce champ me paraît important, c’est pourquoi j’ai peut-être émis cette idée.

Alban Roblez – J’ai deux histoires parallèles. J’ai rencontré Pratiques de formation/Analyses « à l’insu de mon plein gré » – comme dirait (le guignol de) Richard Virenque, philosophe français – par une copine de classe de Paris 8 qui, à l’époque, venait aussi dans ma formation master 1, à Paris 13. J’étais donc mastérant à l’époque, et Lætitia – pour la nommer, et qui se reconnaîtra si elle me lit – m’avait prêté un des tout derniers numéros de la revue, qui portait sur les pratiques spirituelles en formation. À l’époque, je cheminais intellectuellement sur le sacré en formation… J’ai toujours été plus ou moins perché, mais à cette époque-là de ma vie, c’était vraiment pas mal… Et Leatitia, sympathique comme tout, ça la branchait aussi. Ce numéro tombait à pic, et je l’ai d’ailleurs toujours gardé avec moi.

C’est vraiment à cette époque-là que j’ai découvert Pratiques de formation/Analyses. J’ai vu que Jacques Ardoino y était intimement lié et, pour en avoir déjà parlé à plusieurs reprises avec vous, c’est un monsieur qui m’a beaucoup marqué, que j’aurais vraiment voulu rencontrer de son vivant. Je pense avoir lu beaucoup de Jacques Ardoino. Comme il a beaucoup écrit, je n’aurais pas la prétention de dire que j’ai tout lu, mais sa façon d’intervenir dans la formation des adultes, le point de vue qu’il avait sur l’intervention sociale, sur la psychosociologie, la « multiréférentialité » (qui est un concept qui m’a intéressé et me traverse toujours aujourd’hui)… Et aussi son point de vue sur l’évaluation – dont je ne me doutais pas que j’en ferai un travail de thèse, à l’époque –, qui m’a poursuivi. Jacques Ardoino est donc à l’origine de ma construction intellectuelle et aussi de ma personnalité, en tant que chercheur, c’est-à-dire quelqu’un qui s’interroge. Je ne sais pas comment il était dans la vraie vie, mais dans ce qu’il dégage dans son interprétation, notamment avec Guy Berger, et avec d’autres personnes aussi, il avait l’air d’être un homme attentif aux autres humains, et ça m’a marqué. Jacques Ardoino montre qu’on peut faire de la recherche tout en restant toujours curieux, et je trouvais ça génialissime.

Et un jour, ma directrice de thèse, Martine Janner-Raimondi – qui était en lien avec Paris 13 ainsi qu’avec Pascale Garnier, directrice du laboratoire Experice –, m’a tendu la perche à travers un mail envoyé un peu à tout le monde, et en me précisant : « Alban, tu es l’une des rares personnes qui fait de la recherche en formation des adultes à Paris 13, donc regarde : Pratiques de formation/Analyses renaît de ses cendres, est-ce que tu serais intéressé ? » Il m’a juste fallu quelques minutes pour répondre : « Bien sûr !... » Et nous voilà !

J’ai récemment consulté nos archives de comptes-rendus, depuis 2020, et j’ai vu qu’à partir de la troisième réunion, j’étais dans les bacs. J’ai aussi vu que cela fait un an, jour pour jour que, Christian, tu avais proposé l’idée, effectivement, qu’on dirige notre premier numéro de cette nouvelle équipe autour de « l’alternatif ».

Personnellement, l’alternatif me colle à la peau ; je suis quelqu’un d’assez « alter » dans la vie de tous les jours. Je suis tatoué de partout et tout le monde m’avait dit, à l’époque, que travailler dans l’université en étant tatoué « métalleux », ça n’allait vraiment pas le faire. Finalement, je n’ai jamais rencontré aucune difficulté depuis que je suis à l’université – est-ce parce qu’il s’agit de Paris 8 et Paris 13 ?... Je ne sais pas. Mais « en dehors » également, je ne me sens ni regardé, ni jugé, et pourtant j’ai des tatouages sur les mains. Ce côté alternatif, je l’aime bien et puis surtout, c’est comme ça : à chaque fois, je me retrouve « dedans » sans que je le fasse vraiment exprès. Et puis l’éducation populaire m’a formé pendant mes premières années de jeune adulte totalement paumé.

Mon parcours scolaire et universitaire est assez chaotique, et donc, cette notion me parle tout particulièrement. Je me dis : « Oui, en fait l’alternatif, c’est comment vivre ensemble sans perdre trop de soi et sans bouffer trop l’autre ; c’est trouver ce tiers espace – mais qui n’est pas dehors, qui est dedans. Ce n’est pas quelqu’un qui est contre la société, c’est quelqu’un qui cherche et qui essaie de le faire en douceur, à son rythme, avec entendement. »

C’est pour ces raisons que je me suis dit que, en plus de la chance de travailler avec vous, participer à ce comité de rédaction pour le retour sur la scène de la revue, je trouve ça génial, c’est une histoire assez fantastique. Mais surtout, aussi, quand je vois notre façon de travailler, je me dis : « Oui, on essaie, on fait du mieux possible pour coller à ce qu’on essaie de défendre. » Il y a une place pour les étudiantes et étudiants, pour les mastérantes et mastérants, pour les doctorantes et doctorants… Il y a une écoute sincère des un·es et des autres – je commence à avoir une petite expérience de chercheur dans des revues et ce n’est pas partout pareil ! Et j’apprécie cela, je trouve que c’est cohérent avec le projet de société qu’on défend et qu’on aimerait bien voir advenir. Et donc, d’en être, ma foi, pour un « alternos », c’est la moindre des choses !

References

Electronic reference

Françoise F. Laot, Alban Roblez and Christian Verrier, « Éditorial à trois voix », Pratiques de formation/Analyses [Online], 66 | 2023, Online since 01 January 2023, connection on 04 October 2024. URL : https://www.pratiquesdeformation.fr/76

Authors

Françoise F. Laot

Professeure en socio-histoire de l’éducation et de la formation, Université Paris 8

Alban Roblez

Docteur en sciences de l’éducation et de la formation, postdoc à l’Institut français de l’éducation de l’ENS Lyon

Christian Verrier

Maître de conférences honoraire en sciences de l'éducation, Université Paris 8

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